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Photo du rédacteurVéronique Rohan

Les émotions : décryptage



Qu’est-ce qu’une émotion ?


Si vous posez cette question autour de vous, il y a de fortes chances pour que l’on vous en cite certaines (joie, colère, peur,...). mais personne ne pourra vous dire avec précision ce qu’est une émotion.


L’émotion envoie à quelque chose de profondément intime sur lequel nous éprouvons d’immenses difficultés à mettre un nom.

  • S’agit-il d’un sentiment ?

  • D’une sensation ?

  • D’une construction de notre esprit ?

Le processus émotionnel reste encore très complexe pour nombre d'individus.

Même ceux et celles qui l'ont étudié ont des avis divergents.

  • Pouvons-nous affirmer qu'une émotion peut exister en dehors de toute cognition ?

  • Quel rôle jouent les émotions dans nos relations sociales ?

Nombreuses interrogations persistent lorsqu'il s'agit de parler d'émotions, auxquelles il nous est difficile de répondre avec précision.


Pourtant que serait notre vie sans les émotions !? Elles assurent notre survie mentale, il est donc important de leur accorder notre pleine attention.


Voici donc quelques éléments de réponse pour apprendre à mieux les connaitre...



DESCRIPTION D'UNE ÉMOTION


Caractéristiques


Le dictionnaire de psychologie de Norbert Sillamy, définit l'émotion ainsi : « Réaction globale, intense et brève de l’organisme à une situation inattendue, accompagnée d’un état affectif de tonalité pénible ou agréable ».

Certains critères sont donc indispensables pour caractériser une émotion :

  • il s’agit d’une réaction de l’organisme,

  • il faut qu’elle soit globale, intense et brève, et qu’elle émane de la sphère affective.

Dans leur ouvrage "La force des émotions", les psychiatres François Lelord et Christophe André résument les caractéristiques d’une émotion de la façon suivante :

  • une émotion est un mouvement, c’est-à-dire un changement par rapport à un état immobile initial.

  • une émotion induit des modifications sur le plan physiologique.

  • l’émotion a des répercussions sur notre manière de penser : elle nous fait penser différemment. Les chercheurs appellent cela la "composante cognitive" de l’émotion.

  • l’émotion est une réaction à un événement: quantité de situations sont propices à déclencher une émotion.

  • l’émotion nous pousse à l’action.

«Pour résumer, on peut dire que l’émotion est donc une réaction soudaine de tout notre organisme, avec des composantes physiologiques (notre corps), cognitives (notre esprit) et comportementales (nos actions) ». (Lelord et André)

Les différentes émotions




Combien existe-t-il d'émotions?


Difficile d'établir un nombre exact, les auteurs eux-mêmes ne s’accordant pas sur leur nombre !


Charles Darwin, le “père” de la théorie de l’évolution, en dénombrait 6 :

  • la joie,

  • la tristesse,

  • la peur,

  • la colère,

  • le dégoût,

  • la surprise.


Paul Ekman, psychologue américain (l’un des spécialistes mondiaux de l’émotion), en note 16. En plus des 6 émotions de Darwin, il propose d’ajouter également :


  • la satisfaction,

  • le contentement,

  • l’amusement,

  • l’excitation,

  • le plaisir sensoriel,

  • la fierté,

  • la honte,

  • le mépris,

  • l’embarras,

  • la culpabilité.



ÉMOTIONS UNIVERSELLES OU CULTURELLES ?


Deux courants illustrent parfaitement cet antagonisme :


- le courant universaliste considère les émotions comme des réponses somatiques universelles qui, pour une situation analogue, apparaissent toujours de la même manière indépendamment de la culture.

- le courant culturaliste considère les émotions comme une construction du sujet. A ce titre, elles sont à mettre en rapport étroit avec sa culture.

Le courant universaliste


Paul Ekman

Paul Ekman figure parmi les plus ardents défenseurs de l’approche universaliste.

Après avoir travaillé pendant de nombreuses années dans les années 1960 sur l’expression faciale des émotions (chez les primates humains/non-humains), il lui fallut se rendre à l’évidence : il existe une sorte de “lexique facial*” des émotions de base (joie, tristesse, dégoût, peur, colère et surprise) qui est partagé par l’ensemble des cultures de notre planète.


*Fidèle à sa théorie du lexique facial universel, Paul Ekman a mis au point, en compagnie de son collègue Wallace Friesen, un outil complet permettant d’analyser les expressions faciales (connu sous l’abréviation Facs - FACIAL ACTION CODING SYSTEM).


À partir de ses constatations, il établit une théorie “neuro-culturelle” des émotions : la culture intervient certes pour moduler l’expression des émotions, mais les émotions sont antérieures à toute culture : les émotions universelles ne résultent pas d’un apprentissage.


Si nous présentons des photographies d’expressions faciales (la surprise par exemple) à des sujets appartenant à des cultures très différentes les unes des autres, l’émotion qui se dégage de la photographie sera identifiée sans ambiguïté par la majorité des sujets.


Pour Paul Ekman, le caractère inné des expressions de base ne fait aucun doute.


Émotions “vraies” et émotions simulées

Paul Ekman distingue également les émotions “vraies” des émotions simulées.


Une émotion vraie se caractérise par sa fulgurance : elle se déclenche en quelques millisecondes, ce qui signifie qu’elle s’installe avant même que nous en prenions conscience. Par ailleurs, une émotion “vraie” ne saurait être cachée : elle induit un certain nombre de transformations physiologiques (sudation, rougeur, etc.) qu’il est difficile de maîtriser.


Pour les évolutionnistes, cette extériorisation constitue d’ailleurs l’un des points fondamentaux de l’émotion : pour qu’elle soit efficace, il faut qu’elle se traduise sur le plan corporel afin que l’interlocuteur en prenne connaissance.


Les émotions constituent donc un véritable langage.


Le courant culturaliste


À l'opposé du courant universaliste, nous trouvons un autre courant de pensée qui propose une approche nettement plus relativiste des émotions.


C’est par exemple l’opinion de Catherine Lutz, anthropologue américaine, qui défend une position qui tranche passablement avec la position universaliste.


Elle définit l’émotion comme un vecteur indispensable à la communication : nous nous servons de nos émotions pour donner du “surplus” d’information à autrui afin de le persuader de nos intentions.


Catherine Lutz
En d’autres termes, les émotions font partie de notre bagage culturel au même titre que le langage : elles sont destinées à affiner notre clavier de réponses là où les mots seraient impuissants.

Selon elle, il est impossible d’obtenir deux émotions strictement équivalentes quant à leur signification dans deux cultures différentes.


Pour les partisans de l’approche dite parfois culturaliste, une émotion est avant tout un rôle social, que nous avons appris justement en grandissant dans un certain type de société, ce qui suppose que d’autres personnes élevées ailleurs ressentiront et exprimeront des émotions différentes. D’un continent à l’autre, les émotions humaines seraient aussi variées que les langues des différents peuples. (Lelord et André)



Émotivité et émotion

Pour Alexandre Surralès i Calonge, chercheur en anthropologie sociale,, il n’est pas forcément contradictoire d’affirmer qu’il existe chez l’être humain une disposition universelle de l’être humain à ressentir des émotions (émotivité) et que dans le même temps, ces émotions sont des entités culturellement construites.


Il étaye son argumentation en puisant dans l’immense réservoir des neurosciences. Il cite le professeur Antonio Damasio, neurologue et Directeur du département de neurologie de l'université de l'Iowa pour qui les émotions sont étroitement imbriquées avec les processus cognitifs, et plus particulièrement le raisonnement.

Antonio Damasio

Il est inconcevable de comprendre comment fonctionnent les émotions et les sentiments si l'on oublie le corps. (A. Damasio)

C'est en effet au niveau du corps que se construisent les processus émotionnels dont la finalité est de permettre à l'organisme de s'adapter à l'environnement.


Si nous éprouvons des émotions, c'est avant tout pour indiquer à l'organisme la meilleure manière de réagir : la peur nous paralyse pour mieux nous immobiliser et passer ainsi plus facilement inaperçu, la colère nous donne la force d'agresser notre adversaire, le plaisir nous donne l'envie de recommencer, etc.


De manière générale, les émotions jouent un rôle plus ou moins décisif dans les processus cognitifs.



La mémoire affective


Lorsqu'un individu doit prendre une décision face à un événement nouveau (faire un choix entre plusieurs options), il ne fait pas seulement une analyse purement rationnelle. Il est aussi aidé par les souvenirs qu'il a de choix antérieurs et de leurs conséquences.


La mémoire joue donc un rôle primordial pour permettre l’expression des émotions.


Nous faisons tous appel à nos capacités mnésiques pour élaborer une sensation affective et la reconnaître parmi d’autres. Si le souvenir rappelle une conséquence négative, il va fonctionner comme un marqueur : un signal, dont on n'est pas nécessairement conscient, que ce n'est pas une bonne chose à faire.


Le cerveau va “réveiller” ce que l'événement émotionnel avait provoqué dans le corps, ainsi que le sentiment ressenti, et cela orientera donc la prise de décision vers une autre option.


Pour Antonio Damasio, il est important de souligner que ces “marqueurs” ne sont pas innés mais qu'ils dépendent de l'histoire individuelle de chacun, ce qui signifie que chacun d'entre nous possède des marqueurs qui lui sont spécifiques.


C’est la répétition d’activations limbiques particulières qui permettrait à chacun d’entre nous de se forger une sorte de “mémoire affective” à l’intérieur de laquelle seront rangées les principales sensations soma-sensorielles à l’origine de nos émotions. Sans cette mémoire particulière, pas d’émotions !


Nous allons voir, en abordant l'émotion sous un angle physiologique, que l’émotif et le cognitif entretiennent des rapports plus complémentaires qu’exclusifs.



PHYSIOLOGIE DE l'ÉMOTION




Toute émotion se caractérise par une transformation sur le plan physiologique : le pouls s’accélère, la bouche devient sèche, les mains moitesL’émotion est avant tout la réponse à une excitation afin de préparer le corps à la réaction la plus adéquate : fuite, immobilité, combat…


La réponse du système nerveux autonome


L'ensemble de ces réactions sont sous la dépendance du système nerveux autonome (SNA) qui a la particularité de posséder deux sous-systèmes : le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique (que j'ai décrits dans mon article sur la Cohérence Cardiaque).

  • Le premier (SNS) est destiné à exciter l’organisme afin de répondre le plus rapidement possible et de la manière la plus appropriée au stimulus responsable de l’émotion.

  • Le second (SNP) est destiné quant à lui à annuler les effets excitateurs du système nerveux sympathique une fois le niveau d’alerte retombé. C’est lui qui ralentira la libération d’hormones dans le sang (comme par exemple l’hormone responsable du stress) afin de diminuer progressivement l’excitation.




Le système limbique au cœur des émotions


Le SNA (système nerveux autonome), et plus particulièrement le système nerveux sympathique, se charge de déclencher les réactions physiologiques consécutives à un stimulus émotionnel.


Mais si nous analysons en détail ce qui se passe, nous nous apercevons que c’est le système limbique, et en particulier l’amygdale enfouie dans les profondeurs du cerveau, qui va traiter le stimulus et ordonner au système sympathique d’enclencher toute une série de réactions physiologiques.


Le système limbique

Cette partie du cerveau n’agit pas seule. Elle a besoin que d’autres zones cérébrales localisées dans le cortex qui lui envoient des signaux fondés notamment sur les traits du visage (cortex visuel) et sur les intonations de la voix (cortex auditif).


Le système limbique a cependant la particularité de réagir à certains stimuli à forte connotation émotionnelle avant même que l’information n’ait atteint le cortex visuel.


***************


Dans le cas du langage, c’est l’intonation qui prévaut


L’intonation nous renseigne en effet souvent mieux que le contenu du message par lui-même.


Prenons l’exemple d’une phrase polysémique (qui peut être interprétée de plusieurs manières). Le cerveau hésite devant un mot ou une phrase qui comporte plusieurs sens possibles.


Le sens littéral du mot nous pousse dans une direction, et l’intonation dans une autre ! Le cerveau ne peut se décider à trancher, et c’est la plupart du temps l’intonation qui l’aide à résoudre ce conflit.


Dans la phrase « Tu peux être fier de toi ! » prononcée par une personne que nous ne voyons pas (et dont nous ne pouvons décoder l’expression faciale), seule l’intonation permettra au cerveau de décider s’il s’agit d’une louange ou d’un reproche.


ÉMOTIONS et SENTIMENTS

L’essentiel du débat qui oppose les universalistes et les culturalistes repose sur la question suivante : à partir de quel moment prenons-nous conscience de nos émotions ? Une émotion peut-elle exister en dehors de toute cognition ?


Comme nous venons de le voir, le système limbique fait naître l’émotion d’un point de vue purement physiologique.


C’est lui qui indique la tonalité émotionnelle d’un événement et qui avertit les zones corticales de l’ampleur de cette tonalité : le processus émotionnel se met donc en marche à partir du moment où des transformations physiologiques ont lieu consécutivement à un stimulus à forte connotation émotionnelle, même si une analyse corticale plus fine n’a pas encore eu lieu.


Le traitement cortical ne serait qu’un “plus” dans la réponse de l’organisme à un stimulus émotionnel.


Pour certains spécialistes de la question (dont Antonio Damasio), les transformations physiologiques qui se produisent consécutivement à un stimulus émotionnel sont automatiques et inconscientes.


Dès que nous prenons conscience de ces transformations, c’est-à-dire à partir du moment où les “émotions corporelles” sont transférées dans certaines zones du cerveau, nous ne devons plus parler d’émotion mais de sentiment (pensée consécutive à l’émotion).



Les sentiments “émotionnels” selon la psychobiologie


Selon les chercheurs de cette discipline, les sentiments émotionnels seraient comme des émotions atténuées, dans la construction desquelles le processus cognitif entre en jeu de manière relativement importante. Dans cette perspective, les sentiments émotionnels résulteraient d’un apprentissage.


Très tôt, nous apprenons à repérer les différents contextes à l’origine de nos émotions. Chaque contexte possède des caractéristiques propres qui nous permettent de l’identifier lorsque nous le rencontrons.

C’est ainsi que la colère, la tristesse ou la joie apparaissent à peu près toujours dans des circonstances que l’on peut facilement identifier comme étant spécifiques à chaque émotion.


La répétition de ces circonstances va nous permettre d’établir une sorte de “carte des émotions” à mettre en relation avec des contextes spécifiques. Chaque contexte provoquerait des réactions émotionnelles et cognitives spécifiques.



PEUT-ON CONTRÔLER NOS ÉMOTIONS ?


La plupart du temps, les mimiques sont l’expression de sentiments, certes extrêmement codifiés, mais bien réels ! Il existe cependant des situations où les émotions sont feintes.


La question est alors la suivante : si nous pouvons feindre nos émotions, pouvons-nous agir sur elles afin de mieux les contrôler ?


Comment simuler une émotion ?


Le jeu de l’acteur


Nous avons tous été un jour ou l’autre attendris, voire bouleversés par les larmes d’un acteur jouant une scène particulièrement poignante. Peut-être cet acteur a-t-il réussi à nous faire pleurer à notre tour… Et pourtant, ce n’était que du cinéma !


Comment un comédien réussit-il à simuler une émotion au point de faire croire à la réalité de la scène à laquelle le spectateur assiste ? Tout simplement, parce que lexpression d’une émotion, cela s’acquiert !


Nous avons vu précédemment que les expressions des émotions résultaient en partie d’un apprentissage au niveau inconscient. Cette fois, dans l’exemple de notre comédien, il s’agit d’un apprentissage intentionnel : le comédien apprend à travailler les expressions faciales (et posturales) destinées à susciter une émotion chez le spectateur.


Mais qu’en est-il de ses propres émotions ? Que ressent-il lorsqu’il feint d’exprimer une émotion ?

Comment le physiologique influence l’émotion ?


Des expériences portant sur l’enregistrement des ondes cérébrales en jeu lors de l’évocation forcée d’une émotion (peine, tristesse, etc.) ont montré que l’individu activait les mêmes zones cérébrales que s’il éprouvait lui-même cette émotion.



David G. Myers fait la liste de différentes “techniques” qui permettent de “ressentir” une émotion en l’absence de tout stimulus adéquat :


  • si vous maintenez les sourcils froncés (symptôme physique du visage “triste”), il y a de fortes chances pour que vous vous sentiez plus triste en regardant des scènes de guerre, de famine ou de maladie ;

  • si l’on vous demande de prononcer les phonèmes "i" ou "ah" (qui activent habituellement les muscles du sourire), il y a de fortes chances pour que vous soyez d’humeur plus joyeuse que si vous prononcez le phonème allemand "ü" (prononcez comme un u prolongé) qui active les mus- clés des émotions négatives (selon Zajonc et coll., 1989) ;

  • si vous maintenez un crayon entre vos dents pendant que vous regardez un dessin animé, vous le trouverez plus amusant que si vous le maintenez entre vos lèvres : la première posture implique les muscles du sourire tandis que la seconde posture implique un froncement carac- téristique d’une émotion négative (Ekman et coll., 1988) ;

  • si pour sourire, vous utilisez non seulement les muscles de la bouche mais aussi ceux des joues, vous vous sentirez encore plus joyeux.


La boucle rétroactive de l’émotion


« Souriez chaleureusement à l’extérieur et vous vous sentirez mieux à l’intérieur.

Renfrognez-vous et le monde entier vous semblera se renfrogner en retour »

[Myers, D. G., Psychologie, Éditions Flammarion, coll. Médecine – Sciences, Paris, 2001].


Il s’agit là d’un principe qui est appliqué dans diverses thérapies et qui utilise la boucle rétroactive de l’émotion : en empruntant des gestes ou des postures propres à une émotion, nous déclenchons des réactions physiologiques en partie comme le ferait l’émotion réelle correspondante.


Plus notre état interne se transforme et plus nous ressentons l’émotion comme si elle était réellement déclenchée par un stimulus externe. Et plus nous ressentons cette émotion et plus notre réponse sur le plan physiologique se rapproche de la réponse telle qu’elle serait occasionnée par l’émotion réelle.




Rire à gorge déployée à longueur de journée serait donc une solution simple d'être en permanence de bonne humeur ? Non, les choses ne sont pas si simples...


Comme le soulignent les psychiatres François Lelord et Christophe André dans leur ouvrage "La force des émotions", il s’agit d’une influence modeste et transitoire : on ne peut prétendre soigner une tristesse intense ou, pire, une dépression par un sourire béat.


Malgré tout, il n’est pas interdit de s’octroyer au quotidien certaines petites séances salutaires, même si elles n’exercent qu’une influence minime sur le psychisme.



LE LANGAGE DES ÉMOTIONS


Les émotions ont une double fonction : hormis la fonction adaptative, elles nous permettent également de communiquer nos sentiments, et également de décrypter ceux d’autrui. De ce point de vue, les émotions sont particulièrement importantes sur le plan social.


On peut même dire qu’elles constituent un véritable langage tout aussi efficace que les mots, certes moins précis que ces derniers, mais plus rapide et plus puissant.


La communication émotionnelle




La communication émotionnelle (c’est ainsi que l’on nomme la faculté d’interpréter les expressions faciales et les intonations en termes d’intentions – bonnes ou mauvaises) existe depuis bien longtemps !


Les émotions sont apparues avant le langage (le cerveau limbique responsable de la production et du traitement des émotions s’est formé antérieurement au cortex).


Grâce à elles, l’homme a réussi à développer une sorte de “code des sentiments” qui lui a permis d’indiquer à ses semblables, à travers des mimiques appropriées, ce qu’il ressentait et comment il convenait de décoder ce ressenti.


De nos jours, les émotions sont étudiées par de nombreux chercheurs à travers le monde. De nombreuses questions restent en suspens, en particulier sur la manière dont le cerveau “émotionnel” traite les stimuli, et comment il collabore (ou non) avec d’autres structures cérébrales.

Les études sur l’enfant constituent dans ce domaine une source enrichissante.


Le début de la communication émotionnelle


C’est dans les premiers mois de notre vie que l’expression de nos émotions est particulièrement primordiale puisqu’elle constitue notre unique moyen de communication. Le petit enfant exprime en effet la plupart de ses besoins à l’aide de manifestations à tonalité émotionnelle. Cris, pleurs, sourires constituent l’essentiel du “langage” du nourrisson.


Pour Caroll Izard, psychologue de recherche américain, il existerait 10 émotions de base :


  • la joie,

  • la tristesse,

  • la colère,

  • le dégoût,

  • le dédain,

  • la peur,

  • la surprise,

  • l’intérêt,

  • la honte,

  • la culpabilité.


Selon lui, les émotions secondaires ne seraient que des combinaisons des émotions de base.


Il semblerait que les jeunes enfants aient tous la même manière d’exprimer leurs émotions de base, et ce, même chez des enfants aveugles qui n’ont jamais vu un visage.


Mais le petit enfant ne fait pas qu’exprimer ses émotions pour tenter d’attirer l’attention. Il passe également beaucoup de temps à décrypter celles de son entourage. Par ailleurs, parmi les différents visages présentés, il est capable de dire à quelle personne appartient cette voix simplement en regardant son expression faciale.



Il est donc capable (de manière très précoce) de faire correspondre une voix et une expression faciale. Très tôt, l’enfant cherchera à apprendre à reconnaître les émotions des personnes qui l’entourent et s’en servir pour orienter ses réponses.


Les émotions de base : un langage universel


L’expression innée de ces émotions de base ne change pas beaucoup au fur et à mesure que l’enfant grandit. C’est la raison pour laquelle il nous sera facile de la reconnaître où que nous soyons dans le monde : elle est peu sensible à l’influence culturelle.


Par exemple, que nous soyons brésilien, japonais, américain ou français, nous n’avons pas de mal à identifier les expressions faciales des personnes présentées à la figure ci-après : les manifestations physiologiques de l’émotion n’ont pas de frontières !


Différentes expressions faciales universelles (de gauche à droite : le bonheur, la colère, la tristesse, la surprise, le dégoût et la peur) (in David G. Myers, Psychologie, coll. Médecine-Sciences, Éditions Flammarion, Paris, 2001)

Il faudra environ deux à trois ans à partir de la naissance pour affiner les émotions de base et attendre la fin de l’adolescence pour acquérir l’ensemble des émotions propres à la culture du pays où l’on vit.


L’influence culturelle


Parfois, les émotions de base peuvent revêtir des expressions très spécifiques qui seront très difficiles à décrypter si nous n’appartenons pas à la culture du pays concerné.


Car, sous l’influence de l’éducation, les expressions émotionnelles vont se diversifier.


Bien que partageant un bagage d’expressions faciales commun, les différentes cultures se différencient donc dans leur manière spécifique d’exprimer leurs émotions.


Dès 1938, Otto Klineberg montrait que les Asiatiques n’exprimaient pas leurs émotions de la même manière que les Occidentaux. Par exemple, pour manifester de la colère, un Asiatique émettra une sorte de rire accompagné d’un grand “ho, ho” tandis que pour manifester sa surprise, il tirera la langue.

En tant que langage, les émotions permettent non seulement de “dire” avec le corps ce que nous ressentons face à une situation particulière mais également de fournir aux autres un feedback sur l’adéquation de leurs actions.


Nos réactions immédiates les renseignent sur notre disposition à leur égard. Cet aspect de l’émotion est particulièrement important car il participe de la régulation sociale : là où les mots ne font souvent qu’envenimer les choses, un simple regard peut suffire à désamorcer une situation conflictuelle.


Le langage émotionnel peut donc s’apprendre au même titre que le langage parlé.


L'intelligence émotionnelle


Le terme d’intelligence émotionnelle (IE) a été proposé en 1990 par les psychologues Peter Salovey et John Mayer. Ils définissaient l’intelligence émotionnelle comme « une forme d’intelligence qui suppose la capacité à contrôler ses sentiments et émotions et ceux des autres, à faire la distinction entre eux et à utiliser cette information pour orienter ses pensées et ses gestes ».


En 1997, ils affinent cette première définition et désigne l'intelligence émotionnelle comme « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres.»


Ce concept a ensuite été popularisé par Daniel Goleman en 1995 dans son livre "Emotional Intelligence".



Il serait ici trop long d'entrer dans le détail de ce concept (adapté depuis 1998 au contexte des relations professionnelles).


Voyons plutôt ce qui pourrait illustrer l'intelligence émotionnelle, à travers les analyses de John Gottman, psychologue spécialisé dans les relations de couple et Marshall Rosenberg, psychologue et maitre de la communication non violente.



L'"inondation affective"


Notre cerveau limbique et notre physiologie sont affectés lorsque nous sommes en opposition émotionnellement avec une personne avec laquelle nous communiquons, d'autant plus si celle-ci est proche de nous affectivement.


Un mot mal compris, un rictus, le moindre signe observé de notre interlocuteur provoque une réaction physiologique immédiate sur la personne qui le reçoit.

Que se passe-t-il dans ce cas là ? Notre cerveau limbique se met en alerte et "bloque" le cerveau cognitif qui ne peut alors raisonner de façon rationnelle.


John Gottman, nomme ceci l'"inondation affective" : face à une surcharge émotionnelle forte, les seules réactions sont la défense ou l'attaque. Raisonner devient impossible pour trouver la réponse adéquate qui calme la situation vécue.


Les "4 cavaliers de l'Apocalypse"



John Gottman a regroupé 4 attitudes négatives qui détruisent une relation ayant pour seules réponses l'attaque ou la fuite :

  • La critique (ex : "C'est quoi ton problème ?") comme réponse à une doléance. Ne pas confondre un reproche et une critique. Un reproche est fondé sur une action/un comportement spécifique de votre partenaire. Une critique est plus globale et porte sur le caractère ou la personnalité.

  • Le mépris (ex : "tu es ridicule", "quelle idiote !") : Les expressions du visage sont alors souvent très explicite, comme les yeux qui roulent vers le haut, coins de la bouche qui s'abaissent avec les yeux qui se plissent, etc. Le sarcasme et le cynisme envers l’autre exprime du dégoût. Il est très difficile de résoudre un conflit lorsque le mépris est présent.

  • la contre-attaque (défensive) : renchérissement et violence (verbale ou physique). C'est "la loi du plus fort", le fait de chercher à se défendre en répondant aux arguments de l’autre. Cela entraine une blessure émotionnelle parfois à long terme.

  • le retrait total (dérobade): le silence de l'interlocuteur peut également mener vers la violence (énervement de celui qui ne se sent pas entendu) ou vers une blessure émotionnelle profonde (interprétations mentales de la situation). Le retrait survient souvent après les autres cavaliers, lorsque l’environnement est suffisamment hostile pour donner envie de fuir la conversation.


Les secrets d'une "bonne" communication


Nous savons comment nous ne voulons pas être traités mais exprimons rarement comment nous voudrions l'être !


Le principe d'une "bonne communication" est d'éviter tout jugement sur l'autre pour ne se concentrer que sur ce que l'on ressent. Pourquoi ? Parce que personne ne peux débattre de ce que l'on ressent.

Marshall Rosenberg, préconise de remplacer tout jugement par une observation objective. Plus on est précis et objectif, mieux l'autre entendra une tentative légitime de communication plutôt qu'une critique !


Les conseils à suivre


  • Toujours commencer les phrases par "je" et non par "tu". Cela permet de rester dans l'émotion et l'ouverture plutôt que dans la critique du "tu".

  • Identifier la source du problème : être sur de bien s'adresser à la personne à l'origine du problème et qui a les moyens de le résoudre.

  • Choisir le bon moment et le bon endroit : endroit neutre et moment propice à la communication.

  • Commencer toujours par le prénom de son interlocuteur ("Effet Cocktail Party" en psychologie) car nous sommes réceptif à notre nom bien plus qu'aux autres mots.

  • Mettre son interlocuteur à l'aise dès les premiers mots et rester dans l'authenticité et la vulnérabilité.

  • Rester objectif : faire état du comportement qui motive la doléance en se limitant à une description de ce qui se passe, sans émettre de jugement moral.

  • Exprimer ses émotions : décrire les faits et les émotions ressenties. (exception : la colère qui est toujours un renvoi à l'autre).


Bien sur, ces conseils ne peuvent pas toujours être appliqués ! Certaines situations obligent à des réactions plus pertinentes d'urgence ou de retrait. Mais se familiariser avec et s'en inspirer, peut souvent éviter ou désamorcer les conflits.



FAUT-IL PARLER DE SES ÉMOTIONS ?


À chaque évènement traumatisant collectif, nous assistons à la même organisation : des cellules de soutien psychologique sont mises en place afin de recueillir la parole des victimes qui sont ainsi invitées à “ventiler leurs affects” pour reprendre les termes de psychologues ou psychanalystes.


La parole permettrait aux victimes d’atténuer leur douleur immédiate, et également d’éviter les effets à long terme d’un choc traumatique.

Un besoin impérieux


Sans être impliqués dans ce type d'évènements, il nous est tous arrivé, à l’issue d’un événement chargé en émotions, d’avoir envie (besoin ?) d’en parler à notre entourage. Les études montrent que 90 % des personnes agissent de la sorte. Elles montrent également que plus l’émotion aura été forte et plus nous aurons besoin de parler de l’épisode qui s’y rattache, et à plusieurs reprises.


Le partage social


Catharsis, abréaction, distanciation, maîtrise symbolique, etc., les termes techniques ne manquent pas pour désigner ce processus qui va en se généralisant au fil des années. Mais est-ce aussi libérateur que ce que l’on veut bien nous le dire ?


Pour le savoir, revenons un peu sur la genèse du processus.



Comment se déroule le partage des émotions ?


Pour désigner ce phénomène, les spécialistes parlent de “partage social” : parler de ses émotions revient à les partager avec les autres. La plupart du temps, ces autres se limitent à notre entourage immédiat (conjoint, parents proches, amis, collègues, etc.). Mais la plupart du temps aussi (dans 60 à 80 % des cas), les personnes de cet entourage vont relayer l’épisode auprès de leur propre réseau d’amis, de connaissances (on parlera alors de partage secondaire), ces derniers le colportant à leur tour (partage tertiaire), et ainsi de suite…


De ce point de vue, le partage social des émotions s’apparente au mécanisme de la rumeur auquel il peut d’ailleurs emprunter quelques caractéristiques (déformation, amplification, etc.).


Parler de ses émotions, est-ce un bon moyen pour abaisser la charge émotionnelle ?


Que se passe-t-il de si précieux pour que le partage social de l’émotion s’impose à nous de manière quasiment irrépressible ?


L’avantage qui vient immédiatement à l’esprit, c’est qu’en évoquant l’épisode, on revit les émotions qui y sont rattachées. S’il s’agit d’un épisode heureux, la répétition fonctionne comme une récompense : plus nous en parlons et plus nous nous faisons du bien ! En revanche, quel intérêt peut-il y avoir à revivre un épisode malheureux ?


L’explication habituellement avancée est la suivante : en évoquant l’épisode douloureux, l’individu se libère de la souffrance qui s’y rattache (et souvent de la culpabilité : par exemple, pourquoi je m’en suis sorti et pas les autres ?).



Or, les recherches récentes* sur la question ne corroborent pas vraiment cette hypothèse. En effet, à chaque évocation de l’épisode, le niveau émotionnel ne baisse pas pour autant : des mois après un événement douloureux, on ressent toujours la même émotion.


*« Dans toutes les études que nous avons menées, les épisodes suscitaient au moment de leur rappel, qu’ils aient été gardés secret ou non, une intensité d’émotion strictement comparable ». Bernard Rimé et Catrin Kinkenauer


Néanmoins, il ne faut pas en conclure hâtivement que le partage de l’émotion ne présente aucun avantage pour le psychisme du patient.


Des chercheurs américains (E. B. Foa et al., 2002) ont mené des expériences pour estimer le bénéfice d’un tel partage. Ils ont pour cela comparé les effets, sur des femmes victimes de violences, de deux traitements, le premier où les sujets étaient fortement incités à revivre l’événement traumatisant, le second sans incitation particulière. Ils ont constaté que le traitement de premier type (avec incitation) avait effectivement tendance à provoquer une exacerbation des symptômes traumatiques, mais que celle-ci est passagère, et ne conduit, ni à l’échec thérapeutique, ni à l’abandon du traitement.


Le vrai bénéfice de ce partage social particulier


Pourquoi parler de ses émotions ? Quel est notre intérêt si cette évocation ne contribue pas à faire baisser la charge émotionnelle ? Lorsque les chercheurs se sont posés la question, ils ont avancé plusieurs hypothèses.


  • Tout d’abord, les sujets parlent tous de “bénéfice subjectif”. S’il s’agit d’une émotion positive, le bénéfice semble évident : “se faire du bien. S’il s’agit d’une émotion négative, le fait d’en parler permet de prendre de la distance avec le versant émotif de l’épisode et le reconsidérer d’un point de vue cognitif. Parler de ses émotions, cela reviendrait donc à introduire du cognitif dans l’émotif, faire appel à son néo-cortex pour se libérer de son cerveau limbique en quelque sorte !

  • Le partage social contribue à la construction de la mémoire, à la fois individuelle et collective.

  • Sur le plan individuel, cette mémoire nous servira à nous alerter si des signes identiques se reproduisent afin, soit d’y répondre favorablement (dans le cas d’une émotion positive : renforcement positif), soit de nous en éloigner (dans le cas d’une émotion négative : renforcement négatif). Sur le plan de la mémoire collective, le processus du partage social des émotions permet à la communauté de tirer des enseignements à partir de ce qui est arrivé.

  • Le partage des émotions contribue à renforcer les liens sociaux. Parler de ses émotions, c’est faire partager un moment intense, ce qui a souvent comme conséquence de resserrer les liens avec les autres membres de sa communauté et susciter l’empathie.


Apprendre à écouter et soutenir efficacement : conseils



Nous venons de le voir, le courant émotionnel circulant d'un cerveau à l'autre permet d' approfondir la relation avec autrui.


La présence et l'écoute peuvent soutenir efficacement une personne en surcharge émotionnelle.


Si "entendre" est facile, être pleinement présent à l'écoute est difficile pour certains, cela s'apprend.

Un "outil" est utilisé en psychologie (qui a fait ses preuves en milieu médical) pour soutenir les personnes ayant vécu un traumatisme ou traversant une étape de vie difficile: les "Questions de l'ELFE" (moyen mnémotechnique).


Il aide à canaliser les échanges et à rentrer rapidement dans une véritable écoute empathique pour permettre à la personne affectée, étape après étape, de déposer ses émotions et d'atténuer sa douleur en se sentant soutenue.


Issue des travaux de Marian Stuart (psychothérapeute) et Joseph A.Lieberman (psychiatre) sur la distinction entre les médecins qui possèdent un don pour communiquer et ceux qui ne l’ont pas, cette technique est très facile à apprendre.


En suivant les 5 étapes des questions de l'ELFE (Cf. pdf ci-après), vous entrez en contact, de façon efficace et humaine, avec la personne en souffrance. Cela peut l’aider à se sentir moins seule, plus en confiance pour avancer sur le chemin de la résilience, tout respectant son état émotionnel .




EMOTIONS : UNE RÉPONSE COMPORTEMENTALE INDISPENSABLE


Sans conteste, l’émotion fait partie des réponses comportementales indispensables à notre survie mentale, que ce soit sur un plan individuel ou sur un plan social.


Les émotions interviennent dans la manière dont nous prenons nos décisions. Mais sans la raison, elles ne permettent pas à l’individu de vivre pleinement son rapport au monde.

Nous l'avons vu, le traitement cognitif des stimuli à forte connotation émotionnelle s’avère d’un grand secours pour faire face à de nombreuses situations.


Combien de conflits évités (ou qui pourraient l'être) grâce à ce mécanisme cérébral de haut niveau !






Références - Sources : [Sillamy, N., Dictionnaire de psychologie, Éditions Larousse-Bordas, Paris, 1998].

Lelord, F. & André, C., La force des émotions, Éditions Odile Jacob, Paris, 2003 - Le langage naturel des émotions : Rencontre avec Paul Ekman, Sciences Humaines n° 96, juillet 1999 - Lutz & G. M. White : L'anthropologie des émotions, Revue annuelle d'anthropologie, n° 15, 1986. - David G. Myers, Psychologie, Collection Médecine – Sciences, Éd. Flammarion, Paris, 2001) - Vincent, J.-D., Biologie des passions, ÉditionsOdile Jacob, Paris, 1986 - Myers, D. G., Psychologie, Édi- tions Flammarion, coll. Médecine – Sciences, Paris, 2001 - Le langage naturel des émotions : Rencontre avec Paul Ekman, Sciences Humaines n° 96, juillet 1999 - Rimé, B., Faut-il parler de ses émotions, Sciences Humaines n° 104, avril 2000 - "Guérir" - David Servan-Schreiber - 2005

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